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Les nouveaux territoires de l’influence alimentaire

Journalistes, chercheurs et influenceurs débattent de la médiatisation de l'alimentation lors des rencontres François Rabelais à Tours le 16 novembre 2023.

Les influenceurs prennent le relais des médias traditionnels dans les recommandations alimentaires, surtout auprès des jeunes, véhiculant ainsi discrètement des modèles de production agricole.

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« On assiste à une archipélisation du paysage médiatique lié à l’alimentation. Les médias traditionnels s’affaiblissent et les nouveaux formats apparaissent avec succès », constate François-Régis Gaudry, journaliste à France Inter et Paris Première, en ouverture des Rencontres François Rabelais, le 16 novembre 2023 à Tours (Indre-et-Loire), qu’il présidait. Cette année, cette université des sciences gastronomiques invitait les chercheurs et les acteurs de l’alimentation à réfléchir à la question de la médiatisation. Forcément, la montée en puissance des influenceurs était sur toutes les lèvres.

« Les médias, ça va mal ! Même la radio : les chiffres viennent de tomber et la radio, globalement, a perdu 1,7 million d’auditeurs en un an », rebondit Jean-Sébastien Petitdemange, lui aussi journaliste animateur sur RTL. Il constate aussi la transformation du secteur : « Les médias gastronomiques, on était en monopole. On ne l’est plus. Les réseaux sociaux ou les sites communautaires sont les influenceurs du moment. »

Youtubeurs

Mais pour autant, les réseaux sociaux sont-ils si influents que ça ? Damien Duquesne, fondateur de 750g (revendu à un groupe de médias depuis) et lui-même chef à Paris, est assez critique sur ce point : « Après les confinements, j’ai changé mon restaurant. J’en avais marre. J’ai tout fait pour ne plus être instagrammable mais être le plus désagréable afin de me recentrer sur la qualité de la cuisine. Mon restaurant n’a jamais été aussi rempli depuis. »

La blogueuse Anne Lataillade, qui tient la chaîne Papilles et pupilles, tempère : « On nous considère comme des bonnes copines et on a confiance dans nos recommandations. » Kilien Stengel, enseignant à l’université de Tours, reprend toutefois : « Les youtubeurs prennent la place des enseignants. »

François-Régis Gaudry, chroniqueur culinaire sur France Inter et Paris Première, préside les 19e rencontres François Rabelais à Tours. (©  Eric Young)

Et c’est même cette différence entre les sachants et les influenceuses-bonnes-copines qui renforce l’impact de ces dernières. Simona de Iulio, professeure à l’université de Lille, s’est focalisé sur les jeunes adultes qui se confrontent aux choix alimentaires quotidiens au moment de leur installation ou de leurs études. Elle observe que ceux-ci sont laissés à l’abandon, alors que les pouvoirs publics développent une politique forte de prescription alimentaire envers les enfants et les adolescents. Une enquête à l’université de Grenoble en 2021 avait fait apparaître que 43 % des étudiants se sentaient en insécurité alimentaire. C’est à ce moment-là qu’ils peuvent tomber, dans leurs réseaux sociaux, sur du contenu culinaire au gré du vent.

Réflexe critique

Souvent, ils reçoivent ces vidéos alors qu’ils sont seuls, sans pouvoir en parler autour d’eux, sans avoir le réflexe critique. « Sur TikTok, par exemple, beaucoup de contenus font le lien direct entre alimentation et santé. Ne voir l’alimentation que sous ce prisme peut être dangereux », observe Benjamin Brillaud, lui-même créateur d’une chaîne Youtube, Notabene, consacrée principalement à l’histoire.

Caroline Gauvreau, psychologue clinicienne à Chinon (Indre-et-Loire), reconnaît que les réseaux sociaux sont des modèles structurants pour les adolescents. Elle ne fait pas de lien direct entre les réseaux sociaux et les troubles du comportement alimentaire mais elle affirme que les réseaux développent l’obsession du manger sain, ce qu’on appelle l’orthorexie, qui peut conduire à des pratiques anorexiques. Sans même parler des interdits alimentaires pour des raisons religieuses ou idéologiques.

« Les amateurs de viande m’ont remerciée »

Kilien Stengel énumère les cas cités par la presse de dérives de l’alimentation comme, par exemple, « en 2023, une influenceuse végane de 39 ans adepte d’un régime crudivore meurt quasi en direct après avoir refusé de se soigner. » Emmanuelle Jary, fondatrice de C’est meilleur quand c’est bon, témoigne à l’inverse : « Dans une de mes vidéos dans une boucherie, j’ai poussé un coup de gueule pour justifier mon choix de manger de la bonne viande. Mon entourage craignait l’avalanche de critiques des véganes. Des éleveurs m’avaient averti qu’ils avaient fait l’objet de nombreuses attaques après une vidéo de volailles. En fait, je n’ai pas eu une seule critique des véganes. Au contraire, les amateurs de viande m’ont remerciée. »

Propagande

Enseignante en sciences de l’information à Polytechnique Hauts-de-France, Camille Brachet complique encore le paysage : « Le restaurant lui-même peut être un média en tant que tel parce qu’il est un moyen de faire passer un discours. Le seul compte Instagram de Cédric Graulet, pâtissier du palace parisien Le Meurice, réunit peut-être plus d’abonnés que l’ensemble des magazines gastronomiques. » Ce qui fait bondir Jean-Sébastien Petitdemange : « Les réseaux sociaux, c’est de la propagande, pas du journalisme ! On peut bien faire un restaurant instagrammable mais, avant tout, il faut que ce soit bon. »

Régime méditerranéen

On n’est pas obligé de subir cette nouvelle influence par les réseaux sociaux et s’en servir pour véhiculer la réalité de la production agricole. Le journal en ligne Konbini a une rubrique réservée à l’alimentation. Le site s’adresse aux jeunes de 18 à 35 ans mais Robin Panfili, journaliste dans ce média, reconnaît que c’est plutôt la tranche âgée de son lectorat qui suit ce canal gastronomique. Il aborde le sujet avec le ton qui définit la marque par des titres comme « Le menu le plus cool de l’hiver sert le dessert en premier » ou « Qu’est-ce que je vais faire de tous ces restes de raclettes ». En hameçonnant son lectorat, Konbini l’amène ensuite vers la production agricole en montrant des élevages.

La grand-mère qui cuisine à la manière du sud du pays

En Italie, les jeunes diffusent des vidéos de leur grand-mère qui cuisine à la manière du sud du pays alors qu’eux-mêmes sont partis faire leurs études dans le Nord. « C’est une perpétuation du savoir lié au régime méditerranéen, qu’on sait être bénéfique pour la santé mais de moins en moins adopté », se réjouit Simona de Iulio. Robin Panfili abonde en ce sens : « Ces contenus sur les réseaux sont un éveil à la cuisine simple plutôt que d’aller manger seul un plat médiocre et mauvais pour la santé. »

Avec un tel détour, on rejoint la volonté de Laurent Mariotte, présentateur Des Petits Plats sur TF1, ce « vieux média » par excellence : « Je veux donner au spectateur l’envie de faire la recette le jour même. C’est pour ça que mes recettes sont simples et variées. Je suis inquiet de la standardisation du goût : il y a cinq ans, 17 % des Français déclaraient ne pas cuisiner. Ils sont montés à 23 % en 2023. »

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